Les familles internationales dans la tourmente du covid-19 un aperçu des problématiques entre la France et New York

Hélène Carvallo, Avocat au Barreau de New York

Anne Carole Plaçais, Avocat au Barreau de Parisg

http://faan-law.com

LES FAMILLES INTERNATIONALES DANS LA TOURMENTE DU COVID-19

UN APERÇU DES PROBLEMATIQUES ENTRE LA FRANCE ET NEW YORK

 

Alors que notre quotidien à tous dépend de l’évolution de l’épidémie du Coronavirus et des décisions politiques qui en découlent, les mesures exceptionnelles prises pour faire face à cette crise sanitaire touchent particulièrement les familles internationales.

Parents séparés, couples en conflit, violences familiales, les difficultés liées au confinement et aux restrictions de circulation qui en découlent sont exacerbées dans un contexte international alors que les frontières se sont refermées et que les activités judiciaires sont suspendues.

Afin de soutenir les familles évoluant entre la France et New York, nous proposons un point juridique sur les situations de chaque côté de l’Atlantique, qui se veut une réflexion sur les solutions que notre pratique nous amène à proposer à nos clients afin de faire face à la crise, de protéger leurs enfants tout en préservant les liens familiaux.

1- Confinement, fermeture des frontières et suspension de l’activité judiciaire

Depuis la mi-mars, la France et l’Etat de New York ont, presque concomitamment, prononcé l’état d’urgence, fermé les écoles et les commerces dits non-essentiels, et la France comme les Etats-Unis ont fermé leurs frontières.1

En France, si le déconfinement progressif est annoncé à partir du 11 mai, date à partir de laquelle les enfants devraient retourner à l’école, il n’y a pour l’instant aucune certitude sur la possibilité des déplacements sur le territoire national et les frontières pourraient rester fermées jusqu’au mois de septembre.

A New York, le maire de la ville, en désaccord avec le gouverneur de l’Etat, a annoncé que les écoles resteraient fermées jusqu’au mois de septembre prochain, mais certaines universités ont déjà annoncé qu’elles ne rouvriraient pas en septembre, jetant un doute sur les perspectives scolaires. En tout état de cause, les récentes annonces de la Présidence américaine visant à réduire l’immigration aux Etats-Unis ne présagent pas la réouverture rapide des frontières.

Par ailleurs, dans l’Etat de New York comme en France, les tribunaux sont en activité très réduite depuis le 16 mars et les procédures dites « non essentielles » et « non urgentes » suspendues,2 pour une durée indéterminée.

En France, la reprise progressive de l’activité judiciaire devrait avoir lieu à la fin du mois de mai sans certitude aucune sur les modalités de fonctionnement et les possibilités de traitement des nouvelles procédures.

Qu’entend-on par « affaires urgentes » ?

Bien que la qualification d’urgence soit à l’appréciation des juges, il ressort des affaires traitées que le seul lien avec la crise du coronavirus ne suffit pas à qualifier le dossier d’« urgent » et, en pratique, trois domaines sont identifiés:

  • les violences conjugales,

  • les enlèvements d’enfants, internationaux ou inter étatiques,

  • à New York : les dossiers d’autorité parentale et de droit de visite « urgents »3

En France, les modalités pratiques mises en œuvre pour le maintien de ces procédures diffèrent en fonction des tribunaux et des plans de continuation mis en place par les présidents de juridiction.

A New York, les affaires entendues, ne le sont que par skype, vidéoconférence ou tout autre moyen virtuel.

A New York comme en France, le principe est le maintien des relations des enfants avec leurs deux parents, et les autorités ont fait appel à l’esprit de responsabilité des justiciables et de leurs avocats. A New York, les juges ont même indiqué que les comportements abusant de la situation de crise sanitaire seraient sanctionnés et qu’ils seraient vigilants à identifier les avocats les ayant favorisés.

Aux Etats-Unis, les premières décisions sont tombées rapidement, allant dans le sens d’une continuité des décisions ou des accords pré-existants.4 Si des déplacements sont nécessaires pour les mettre en oeuvre, les parents doivent s’efforcer de trouver des solutions amiables pour appliquer les termes desdits accords ou décisions.

Ce n’est que dans l’hypothèse où l’un des parents viole la loi, et notamment les règles sanitaires de distanciation sociale, de confinement et de respect des règles d’hygiène, que l’autre parent, après avoir tenté le dialogue, sera fondé à réagir et éventuellement à prendre des mesures unilatérales dans le but de garantir la protection des enfants.

En France, les modalités de résidence et de visite fixées par décision de justice doivent être maintenues, dérogeant ainsi à l’interdiction de déplacement. Au cours des vacances scolaires de printemps, le ministère de la Justice a précisé que les droits de visite et d’hébergement, à l’exception des droits de visite médiatisés à la journée, devraient s’exercer en respectant les consignes sanitaires visant à :

  • Limiter les déplacements de l’enfant en particulier sur de grandes distances

  • Eviter les transports en commun

  • Eviter les contacts avec les personnes vulnérables

Dans lEtat de New York, pour éviter toute difficulté, les vacances ont été supprimées.

Si le respect des décisions est impossible, les parents sont invités à modifier d’un commun accord et temporairement l’organisation de la vie de la famille, de façon à limiter les déplacements des enfants. Pour atteindre un accord, le soutien des avocats ou de médiateurs et/ou parent coordinators peut être recherché.5

2- Les enjeux pour les familles dispersées entre New York et la France

Bien que le principe soit le maintien des droits de visite et d’hébergement, la fermeture des frontières et la restriction des vols internationaux rendent matériellement presque impossibles leur respect lorsqu’il s’agit de familles internationales résidant entre la France et New York.

Les difficultés accrues pour les familles dispersées entre New York et la France. Le non-respect du droit de visite et d’hébergement peut constituer un enlèvement ou une soustraction d’enfant.

Or, en dépit de la crise sanitaire, les procédures d’enlèvement international ou inter étatique d’enfant, fondées tant sur la Convention de La Haye en France et aux Etats-Unis, que sur le Uniform Child-Custody Juridiction and Enforcement Act (UCCJEA) aux Etats-Unis, restent ouvertes au bénéfice du parent délaissé.

Afin d’éviter ce type de situation et de procédure, et dans les situations qualifiées de non urgentes, il en est plus que jamais appelé au bon sens des parents : les familles internationales sont contraintes de s’organiser d’un commun accord pour maintenir les liens au maximum. Quelques pistes peuvent être proposées pour le cas où le respect des droits de visite et d’hébergement ou de résidence ne pourraient être respectés:

  • Faciliter les échanges entre les enfants et l’autre parent et les autres membres de la famille par tout dispositif vidéo ou de visioconférence.

  • Augmenter les échanges d’informations entre les parents (emails…).

  • Prévoir la prolongation de la durée des vacances passées avec le parent éloigné à l’issue du confinement :

    • Par exemple il est envisageable pour les enfants résidant à New York de venir séjourner en France avant le début des vacances d’été puisque leur scolarité ne reprendra physiquement qu’au mois de septembre et que les cours virtuels sont par nature suivis à distance. Il est d’ailleurs à noter que le Consulat de France à New York a pu proposer la prise en charge du rapatriement d’enfants français voyageant seuls.

  • Rédaction d’accords temporaires modificatifs:

    • Il est conseillé de faire appel à des avocats spécialisés pour rédiger des accords et s’assurer du caractère temporaire des mesures prises, notamment pour garantir que la résidence de l’enfant et donc la compétence du juge ne soient pas modifiées de facto, ce qui est particulièrement important pour les familles internationales.

Si, en revanche, l’un des parents craint un enlèvement, la France permet le renouvellement des ordonnances d’interdiction du territoire pour une durée de 9 mois à la demande de l’un seul des parents.

Cette crise démontre en outre que les avocats seront bien avisés à l’avenir de prévoir dans les accords que nous rédigeons, une organisation dérogatoire pour les situations exceptionnelles telles que celle que nous traversons actuellement.

Le cas particulier des violences familiales. En France comme à New York, les violences familiales ont dramatiquement augmenté depuis le début du confinement (augmentation estimée à 30% en France et 25% à New York).6

De nombreux dispositifs d’alerte et de soutien sont mis en place en France et à New York pour protéger les conjoints et les enfants victimes. Il est possible de solliciter un ordre de protection temporaire à New York et une ordonnance de protection judiciaire en France. En outre, les ordonnances temporaires qui deviennent caduques pendant cette période exceptionnelle sont automatiquement prorogées. Il est conseillé d’avoir une copie de l’ordonnance sur soi en permanence, pour pouvoir la présenter aux autorités.

Ces procédures sont complexes, a fortiori dans un contexte de confinement, et il est indispensable de faire appel à des avocats spécialisés notamment dans le cadre des dispositifs d’urgence mis en place par les barreaux.

1 A New York— Alors qu’Andrew M. Cuomo, le gouverneur de l’Etat de New York, prononçait l’état d’urgence le 7 mars, applicable jusqu’au 7 septembre 2020, les commerces non essentiels fermaient en deux phases, les 15 et 22 mars; tandis que les frontières du pays étaient fermées le 19 mars.

En France — Dès les 12 mars, le gouvernement annonçait la fermeture des écoles à compter du 16 mars suivant et pour une durée indéterminée. Le 16 mars au soir, le confinement général de la population était annoncé pour le lendemain et la fermeture des frontières était décidée le jour même, comme dans les autres pays européens et de l’espace Schengen.

2 A New York — Le juge Lawrence K. Marks, chef administratif des tribunaux de l’Etat, annonçait leur fermeture le 16 mars. Le 22 mars, il indiquait que jusqu’à nouvel ordre, seules les affaires dites essentielles et urgentes seraient examinées à distance. Depuis le 13 avril, les dossiers non essentiels en cours sont traités. En pratique, les audiences que l’auteur de cet article a eues depuis le 13 avril ont été renvoyées sine die.

En France — Depuis le 17 mars 2020, les procédures familiales non urgentes sont gelées, les décisions suspendues et les audiences reportées automatiquement jusqu’à nouvel ordre.

3 A New York, les tribunaux ont été saisis en urgence par des parents qui refusaient que les enfants se rendent chez l’autre parent qui était un infirmier ou médecin, particulièrement exposé au virus. Certains parents ont ainsi renoncé à exercer pour pouvoir maintenir les liens avec leurs enfants (voir par exemple https://www.nytimes.com/2020/04/07/us/coronavirus-child-custody.html)

4 Voir notamment Ribeiro v. Wright, Ontario, 24 mars 2020: « There is a presumption that all orders should be respected and complied with. More to the point, there is a presumption that the existing order reflects a determination that meaningful personal contact with both parents is in the best interests of the child ».

5 En France comme à New York, les barreaux ont mis en place des dispositifs de médiation d’urgence.

6 Au niveau des Etats-Unis, les chiffres sont parlants: pour le seul mois de mars 2020, la police a vu le nombre d’appels liés à des cas de violence familiale augmenter de 60% à San Francisco CA et de 20% à Houston TX; et au niveau du pays, les « murder-suicide », cas où l’auteur du crime d’une ou plusieurs personnes se donne la mort, sont passés de 11 par semaine à 22 par semaine, soit une augmentation de 100% (chiffres pour la semaine du 28 mars 2020). see The Intersection of Technology, Domestic Violence, and Family Courts During COVID-19, Association of Family and Conciliation Courts.

Tags:
Recherche